jeudi 8 septembre 2005

Venezuela HS Flash Black

Une journée ordinaire à Mérida.

Il est des jours où rien n'est prévu, où rien n'est à attendre, car rien ne viendra. Ces jours rares ont un goût de miel et la vision change. Les yeux ne sont plus commandés et se laissent aller au gré des passants, au gré du soleil qui fait se lever ou se baisser le regard.

Après plusieurs heures sur internet à contempler le paradis qu'elle représente pour moi, je sors dans la rue. La "calle 24" m'est devenue familière et mes pieds dansent par cœur la partition de son trottoir irrégulier. Les odeurs sont devenus un patrimoine connu et n'agressent plus mes connaissances. Elles se sont intégrés et acceptent de jouer à présent avec mes anciennes compagnes. Je file droit vers cette agence que je connais à présent bien.

Gustavo, le patron, n'est pas là, mais je retrouve "el flaco", jeune garçon (de mon âge) poli, mais qui semble soudé à cette porte d'entrée et qui fait partie de cette gente qui semble transparente par un manque affirmé de caractère. Il y a également Ingrid, Stefano, et Manuel. Ingrid a un bébé de 7 mois et 2 jours, elle semble être l'antipode de la vénézuélienne "type". Sensible, légèrement ronde, elle n'affiche pas de stéréotype et ne me semble pas surfaite. Simple, jolie, sa compagnie est sincère et agréable. Son rire est une cascade fraîche et jamais ne vexe le condamné. Stefano lui est un rasta aux locks bien longues, mais propre sur lui, bien au contraire de la généralité ; c'est monsieur tatoo, c'est aussi lui qui me prouvera que l'art vivant vit encore au Venezuela et pourrait bien renaître de ses cendres. Manuel, le jeune guide des Llanos, me lance un "hello maldito", perché sur la balustrade de l'instable mezzanine. Quelques mots sont échangés, je m'assois en leur compagnie, après les avoir salués, on se cogne les poings, une bise pour la miss. Ils ont déjà tous mangé, j'irai seul déguster ma sopa, carne a la plancha et jugo de melón.

Ensuite la recherche du théâtre Tulio Febres Cordero pour la pièce de ce soir et je m'attarde dans une librairie. J'ai fini mes livres et il va bien falloir se mettre à l'espagnol. Au bout d'un temps infini à éplucher la littérature vénézuelienne qui ne semble savoir écrire que de son libertador, je tombe par hasard sur un livre d'Escobar. Mon intérêt pimenté par un nom que je connais, j'attrape ce livre que je crois être écrit par le bien connu baron du crime. Je découvre avec une légère amertume que cet Escobar là n'est pas celui que j'escomptais mais un jeune poète vénézuélien de 26 ans, étudiant a Mérida. En lisant le prologue mon intérêt se retrouve aiguisé et j'achète le livre. "PREGARIE" où l'état d'attente dans laquelle on se trouve qd on déclare sa flamme à l'être aimé et que l'on attend, sans réponse, le sort qui sera le nôtre. Je veux entamer ce recueil de poème sans plus attendre et je me dirige naturellement vers la plaza Bolivar, à l'ombre de ses grands arbres, quand soudain une mélodie me fait perdre mon ordre de priorité pour se placer en tête du box office. Je me file afin de me trouver en face du joueur de flûte de pan, une place à l'ombre, assis. La mélodie, si proche, me semble bien plus agressive que la lointaine rumeur qui m'avait amenée là. Alors que mes yeux cherchent une sortie de secours, je tombe pile sur le clochard en face. Une flasque en verre d'alcool blanc dans la main gauche, la main droite sur le cœur, le menton vers le ciel, celui-ci remercie Dieu de sa bienveillance discrète dans une prière murmurée. L'église en face reste muette, et moi soudain j'ai pitié. Combien de nuit dans la rue, combien d'années de solitude pour en arriver là ? Ces cheveux gris et bouclés sont perdus dans la barbe massive et aussi sale qu'un balai après le travail. Mais ce qui m'intrigue le plus se sont ses mains. Aussi rouge que son visage de poivrot, ses doigts semblent gonflés de l'alcool qui aide le pauvre à ne pas se dessécher. Les plissures de ses phalanges sont un mélange de noir de sale et de rouge sang, alors qu'à leurs bouts s'élancent fières et gris, des ongles acérés. C'est bientôt la peur qui cède à la pitié... Le bibendum que l'on aurait pu tordre afin de récupérer quelques tonneaux de rhum se transforme sous mes yeux de pauvre diable à diable tout court...
C'est à ce moment précis qu'une jeune fille charmante, avalant qqs pop corn qu'elle sort d'un petit sac en papier, s'approche sans crainte et s'assoit près de la Bête. J'ai l'impression soudain d'assister à la représentation théâtrale du "Loup et l'agneau" ou encore du "Petit chaperon rouge"... Mes yeux analysent et défigure la scène. Elle porte un T-Shirt rouge aux manches courtes, transporte une mandoline sous le bras, et a des boutons sur le visage. Alors que mes yeux font l'inventaire, je perçois soudain avec horreur que ses deux longues jambes élancées sont aussi poilues que les miennes. Mon dégoût remonte jusque dans ma gorge, quand le doute d'avoir affaire à une femme m'assaille ! Ma mémoire rembobine rapidement jusqu'à la poitrine à peine visible sous le t-shirt. C'est à ce moment là que mon esprit autorise inconsciemment la bête à dévorer la fausse belle. Répondant à mon appel secret, celui-ci lève le doigt et approche doucement son ongle vers le coude de la demoiselle, qui la tête tournée, écoute la musique (devenue insupportable). Du coude vers le dessous de la manche, la parabole ongulaire est dessinée et fini par entrer en contact avec la chair ! Electrique ! Elle se lève et s'en va dans un regard éberlué. La bête, elle, rit, et dans sa gorge, un millier de galets roulent sous cette déferlante. À ce moment précis, je préfère cette éructation à toutes les flûtes de pan du monde.

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