Bolivie 02
Milena 15.09.05 :
"On s'fait un 6000m ?" Plutôt deux fois qu'une me répond mon Homme avec de grands yeux étonnés !
La montagne j'adore ça, est-ce que je serai capable ? Je n’en sais rien, mais j'ai envie d'essayer. Avant qu'on ne change d'avis, nous voilà lâchant qqs deniers (pas mal en fait) pour 3 jours d'expédition dans la première agence qui nous fit bonne impression.
Aujourd'hui, voilà, nous avons fait quasi la moitié du chemin et dépassé le mont blanc : nous sommes a 5130m! Nos sacs de couchages sont excellent, nous n'avons quasi pas froid. Nous sommes en Bolivie ! C'est merveilleux tout de même ! Qui l'aurait cru ? Je nous revois encore avec Stéphan, polémiquer sur certains points ! Et là nous sommes plus soudés que jamais pour affronter cette épreuve.
C'est fantastique. Je suis EREZ.
Emrys, aujourd'hui :
En général, je commence toujours par un flash back à la suite de qqs mots d'introduction. Au diable l'intro et vive le flash back depuis tout de suite !
14.09.05, les Boliviens s'affairent autour de moi pour préparer le sol du refuge en dortoir de fortune. L'après-midi fut éprouvante, mais magique... Escalade sur glace sur le vieux glacier du mont Huayna Potosi. La paroi à pique aux reflets bleues effraye par sa masse imposante et a coup de piolets nous grimpons tour à tour le long de cette voie lisse et miroitante... Bien que refroidit jusqu'à la moelle, nous sommes heureux comme tout en revenant vers le refuge... à peine inquiet par la neige battante qui promet un avenir pas terrible...
Voilà, Milena et moi nous sommes lancé le défi du Pic Huayna Potosi culminant à 6088m d'altitude, dans la fabuleuse Cordillère Royale de Bolivie. Le temps est crade... froid... brouillard... neige... humidité... Demain direction le camp d'altitude et si le temps est clément, levés à 1h du mat' pour 7h d'ascension jusqu'au sommet _ ce sera dans deux jours et j'espère de tout mon cœur que nous pourrons réaliser ce gentil exploit.
15.09.05, Camp d'altitude 5130m et qqs degrés en moins. La tente résonne du petit bruit sec des flocons qui dégringolent du ciel en petite quantité. Dans l'ambiance jaune de la toile cirée, Milena et moi passons le temps en fixant le toit... attentif au moindre crissement de neige dehors... nos guides nous préparent en ce moment même un bon repas chaud qui nous tirera de 4h de rêveries consécutives avant de nous replonger dans un sommeil glacé. (Le veloute de champignon chaud, ça déchire). Les 3h de montée vers le camp d'altitude ont été rude et le sommeil ne vient pourtant pas... Debout à minuit, pour un départ à 1h... Le froid nous assène ses méchants coups... dehors un bon -15 nous empêche de fermer l'œil alors que la neige continue à tomber de plus belle... m'interdisant tout espoir quant au sommet... sommeil. Quand je rouvre un œil c'est pour m'apercevoir qu'il est 2h30 - 16.09.05 - du matin et que la neige ne tombe plus... La rage de faire ce foutu sommet me met debout et je cours dans la neige (en thermolactyl uniquement) pour réveiller nos guides tranquillement endormis. Branle bas de combat, nous sommes prêts à attaquer le flanc de montagne 15 minutes après. Milena ne se sent plus de continuer... la fatigue le froid et l’envie de dormir sont plus fortes. Alors me voilà encordée, gravissant les premiers mètres dans un souffle de chameau. La pente se perd dans le noir de ma lampe frontale, et je grimpe sans penser. Au loin deux autres alpinistes on prit les devants, ils paraissent deux petits points bleu perdus dans le néant.
Alors que je monte, pas par pas, difficilement, un millier d'autres chemins parcouru remonte dans ma mémoire. Le Tourneret, gravit avec mon père, mon oncle, mon cousin, U2 sous les étoiles ; le Bandai-san au Japon, les bothies d'Écosse avec Keveen et Lydia... tellement de routes, mais le froid est toujours pénétrant et chacun de mes pas s'enfonce dans la poudreuse toute neuve de cette nuit. Deux heures de marche passeront comme dans un rêve et mon seul point de repère sera ces deux marcheurs au devant de nous... qui doucement se rapproche, perdent de leur avance. Au moment ou je rejoins mon guide perdu dans le noir devant moi, pourtant distant de seulement 5m de corde, je le vois souriant et discutant avec le guide d'un jeune aventurier belge, Bart, nous voilà arrivé au camp Argentin, perché à 5500m d'altitude. Les guides veulent faire demi-tour, il a trop neigé ces 3 derniers jours, le reste du chemin est trop dangereux ! Bart et moi nous offusquons... Quoi ! Être monté jusqu'ici pour se voir refuser le sommet !!! Jamais de la vie, on continue... tant et si bien en rébellion que nous obtenons gain de cause et continuons notre route dans une neige de plus en plus épaisse... bientôt les professionnels commenceront à souffler aussi fort que nous et doucement le soleil se lève. Que dis-je doucement, c'est l'effet de ralentissement par le froid... le jour se lèvera en fait en moins de 10 minutes, brûlant l'horizon immaculé, et agrandissant notre vue abasourdit, découvrant que nous dansons depuis plusieurs heures entre crevasses et lignes de crêtes... Le tout est fantastiquement beau, j'en veux même pas mettre mes lunettes tant le tout me rends soumis, mais le soleil aura tôt fait de me rendre la raison, tant il brûle mon visage (qui s'en souvient encore). Chaque pas nous est de plus en plus dur et on se retrouve bientôt à grimper les doigts dans la neige, la pente tend vers 60 degré et nous sommes rapidement obliger d'utiliser les piolets pour avancer. Les crevasses me fascinent et donne une dimension fictionnesque à ce paysage qui n'avait déjà pas besoin de ça pour rentrer dans mes annales perso. Je reste figé quand nous devons en traverser quelques-unes via un petit pont de glace qui me semble branlant. Le guide en premier je plante mon piolet en neige et entoure la corde en cas de chute... mais rien du tout, les gars ont l'habitude et file le sourire aux lèvres de nous voir Bart et moi hésiter une seconde avant de nous engager au dessus de 200m de vide glacial. Et puis bientôt nous aurons dépassé les 5700m pour nous retrouver devant une barrière apique et glacée... c'est le chemin, mais nous nous arrêteront là... toutes mes supplications n'y vaudront rien, la neige recouvre la glace et rends impossible l'ascension aux piolets de tractions... trop dangereux diront-ils... les chutes de neiges récentes rendent l'accès au sommet impossible et nous voilà stoppé à 2h et 300m du but, tout au plus.
J'aurai voulu une autre fin, et ma frustration de ne pas pouvoir finir ce projet me coupe les jambes. La fatigue me rattrape d'un coup alors que je tombe tous les dix mètres du retour... 5h d'ascension, la neige aux genoux... mon moral est bas.
C'est quand je lève les yeux après ma énième chute, que je trouverai toute ma récompense. Le soleil caresse une mer de nuage en contre bas et au loin l'Illimani (plus haut sommet de Bolivie, 6480m) brille comme un diamant. À ce moment je me dis que je ne vais plus pouvoir bouger et que même si le tout disparaissait je continuerai à le voir. C'est le cas. Je ne suis plus là bas mais l'image est gravée au plus profond de mon cœur. C'est le genre d'image que l'on voit mille fois à la tv ou en photo... mais quand on se retrouve devant... pour de vrai... tout s'arrête et prend de nouvelles proportions... Alors voilà nous sommes rentrés de ce voyage blanc, mais je sens qu'un petit bout de moi est resté le cul dans la neige, la fatigue sur les épaules, à regarder ce coin de ciel qui m'a enchanté. Pour couronner le tout, alors qu'en pleine nuit encore, mon guide passait un pont de glace, illuminant la neige de sa lampe frontale halogène, donnant une vision de rêve à cet univers de noir, je m'apercevait que la batterie de mon appareil photo était resté dans mon sac de couchage pour ne pas trop se décharger à cause du froid... à ce moment là, je me suis maudit, et puis j'ai continué. Merci à Bart de m'avoir fait quelques photos quand même, je ne sais pas ce que ca donnera, mais c'est toujours ca de pris.
Pendant la redescente j'avais l'impression de découvrir le paysage qui m'avait entouré de nuit... cette pente crénelée de pointes enneigées, on aurait dis que la mer c'était penchée et qu'un millier de dauphins faisaient miroiter leur épines dorsales... ou sur un plan moins optimiste, un vrai cimetière d'altitude. La montagne n'a pas fini de m'impressionner.
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